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- en conversation avec Paolo Baggi -
PB - Concernant le déplacement du tag, ou plutôt son re-enactment dans un espace institutionnel : tu vois ça comme un geste un peu anthropologique en isolant un geste d'une culture urbaine, ou bien il s'agit plutôt pour toi de reprendre la force de ces expressions dans des espaces publics, pour questionner cette force quand elle est "contrainte" par un white cube ? Ce déplacement du tag et son identité revendicatrice est intéressante je trouve : il est une expression exacerbée d'une subjectivité (en répétant une signature) et ici il semble être plutôt réduit au geste, avec ce 8 ou ces traits sur le mur. Comme si la déclaration de la subjectivité de l'artiste ne pouvait pas passer par l'expression d'un nom et d'une identité qui reste mais qui devait plutôt passer par l'affirmation d'un geste.
CV - Il s’agit plutôt de la deuxième option, reprendre la force expressive du spray qui est pour moi l’outil répondant le mieux aux impulsions et aussi questionner sa place dans l’institution.
L’idée en fait était de créer une sorte de partition, qui me permettait de me détacher de ma subjectivité, puisqu’elle est pour moi de toute façon présente. Puis cette partition me permet d’étudier le geste, les formes, les couleurs (surtout les associations de couleur), le rythme (et la composition) et les concepts de manière la plus objective possible presque comme une science. Elle me permet finalement de cadrer ma pratique puisque je ne pouvais montrer qu’une part de mon univers lors de cette exposition.
Le rapport entre les tableaux et la fresque, je le vois comme une analogie. C’est la première fois que je fais faire mes châssis et cela fait longtemps que je ne travaille plus sur des châssis carrés car, dans mon vocabulaire visuel, j’ai associé le carré au masculin (que je relie vulgairement au patriarcat, à l’institution et à l’objectivité) et le rond à la féminité (au féminisme et à la subjectivité). J’ai donc décidé de faire fabriqué mes châssis pour qu’ils soient le plus « masculins » ou objectifs possible.
Les toiles sont des formes rondes (les 8) alignées dans un châssis carré qui se tient en face d’un mur aux formes libres. C’est pas une critique de l’institution, c’est pour moi une médiation entre deux mondes qui, si elle marche, fait dialoguer des préjugés opposés.
PB - Concernant cette répétition et la symbolique forte du 8 (le signe infini si couché), je voulais savoir si tu considérais aussi ta pratique sous une forme méditative, voire thérapeutique ?
CV - La question que l’on va forcément te poser est, pourquoi le 8? En résumé c’est pour représenter l’anxiété, car il est évident pour moi que l’anxiété à une place importante depuis les évènements récents dans le monde (Covid, police raciste, découverte du système sexiste, réchauffement climatique). Par ailleurs, il reprend la symbolique du serpent qui se mord la queue, l’idée des pensées obsessives (réaffirmées par la répétition sur les châssis). J’ai aussi appris que ce symbole existait dans le language universel de manière intemporel. Mais à la base, c’est parce que je m’intéressait à l’objectivité (en opposé à la subjectivité de l’art) que j’ai commencé à sprayer des chiffres et le huit était le plus fort en terme de composition et de signe. Je ne considère pas du tout cette pratique comme thérapeutique ou méditative contrairement à ma pratique de dessins que je travaille de manière opposée à ma pratique de peinture.
PB - On a vite parlé de ton soucis pour nommer ton geste (performance, fresque, etc.). Comment considères-tu ton geste sur le mur ? Est-ce que ça a le même statut que les 8 sur châssis, ou bien la médialité directe (de l'artiste au mur) donne un contenu différent ? La différence est aussi parlante, entre ces 8 qui se répètent dans une attitude réfléchie à priori, et les gestes sur le murs évidemment beaucoup plus intuitifs.
CV - Le geste sur le mur est inspiré de mes tests de couleurs ou juste pour voir si la bombe marche avant de sprayer des toiles. A chaque fois que j’en fait, je finis souvent par les trouver plus beaux que les gestes attendus, il y a une beauté dans la non-intention que je tenais à inclure dans ma proposition pour les Swiss Arts Awards, d’où la partition qui me permettait d’inclure l’improvisation.
Ces gestes honorent la liberté. Les diverses couleurs honorent la diversité. Les huits représentent l’émotion anxieuses de notre époque.
Bien à toi,
Caroline
EN
- in conversation with Paolo Baggi -
PB - Concerning the displacement of the tag, or rather its re-enactment in an institutional space: do you see it as a somewhat anthropological gesture by isolating a gesture from an urban culture, or is it more a matter of taking back the strength of these expressions in public spaces, to question this strength when it is "constrained" by a white cube ? This displacement of the tag and its claiming identity is interesting I find: it is an exacerbated expression of a subjectivity (by repeating a signature) and here, it seems to be rather reduced to the gesture, with this 8 or these lines on the wall. As if the declaration of the artist's subjectivity could not pass through the expression of a name and an identity that remains, but rather must pass through the affirmation of a gesture.
CV - It is rather the second option, to take back the expressive force of the spray which is for me the tool answering best the impulses and also to question its place in the institution.
The idea was to create a sort of partition, which allowed me to detach myself from my subjectivity, since it is present for me anyway. Then, this partition allows me to study the gesture, the forms, the colors (especially the associations of colors), the rhythm (and the composition) and the concepts in the most objective way possible, almost like a science. It finally allows me to frame my practice since I could only show a part of my universe during this exhibition.
The relationship between the paintings and the mural, I see it as an analogy. This is the first time I have had my canvas made, and I haven't worked on square frames for a long time because, in my visual vocabulary, I have associated the square with the masculine (which I vulgarly associate with patriarchy, the institution and objectivity) and the round with femininity (with feminism and subjectivity). So I decided to have my frames made to be as "masculine" or objective as possible.
The canvases are round shapes (the 8) aligned in a square frame that stands in front of a freeform wall. It's not a critique of the institution, it's a mediation between two worlds that, if it works, brings opposing assumptions into dialogue.
PB - Concerning this repetition and the strong symbolism of the 8 (the infinite sign if lying down), I wanted to know if you also consider your practice in a meditative, even therapeutic form?
CV - The question that people will inevitably ask you is, why the 8? In short, it is to represent anxiety, because it is clear to me that anxiety has an important place since the recent events in the world (covid, racist police, discovery of the sexist system, global warming). Furthermore, it takes up the symbolism of the snake biting its own tail, the idea of obsessive thoughts (reaffirmed by the repetition on the frames). I also learned that this symbol existed in the universal language in a timeless way. But basically, it was because I was interested in objectivity (as opposed to the subjectivity in art) that I started painting numbers and 8 was the strongest in terms of composition and sign. I don't consider this practice to be therapeutic or meditative at all unlike my drawing practice which I work in opposition to my painting practice.
PB - We quickly talked about your concern to name your gesture (performance, mural, etc.). How do you consider your gesture on the wall? Does it have the same status as the 8 on canvas, or does the direct mediation (from the artist to the wall) give a different content? The difference is also telling, between these 8's that are repeated in an attitude that is reflected and the gestures on the wall that are obviously much more intuitive.
CV - The gesture on the wall is inspired by my color tests or just to see if the spray can works before spraying canvases. Each time I do them, I often end up finding them more beautiful than the expected gestures, there is a beauty in the non-intentional that I wanted to include in my proposal for the Swiss Arts Awards, which is why I included improvisation in the partition.
These gestures honor freedom. The various colors honor diversity. The 8 represent the anxious emotion of our time.
Yours sincerely,
Caroline