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Parfois j’imagine Caroline Ventura prendre le chemin de l’atelier. Elle porte une casquette de Super Mario Bros et monte à bord d’un chariot de mine, sauf que c’est un wagon chargé de bitcoins qu’elle conduit sur des rails de montagnes russes. Le sol de sa cabine est en plexi ; elle surplombe une mer polluée où elle largue à son tour, dans les virages trop serrés, quelques pièces qui tombent en ricochant sur la surface adipeuse du monde.

Sous ses pieds le plancton phosphore, des requins marteaux passent la gueule ouverte, des logos privés d’objets flottent sur l’écume des jours. Elle trace. Son geste est sûr, rapide, instinctif. Elle ne perd pas de temps dans le trafic des idées. Elle sait : quelque part une ville est enfouie sous la mer, figée à l’heure du crépuscule. Les façades des immeubles se sont oxydées. Des employés sont restés prisonniers sous les ampoules en LED ; quand ils appellent à l’aide, leurs cris forment à peine des bulles d’air. Sur leurs bureaux, les derniers ordinateurs bavent des pixels délavés. Derrière des baies vitrées, il y a des salles de sport où des cyclistes font le tour du monde en regardant télé-achat sur des écrans intégrés à leurs vélos elliptiques. Dans les parcs où jouaient autrefois des enfants qu’on gavait d’acides gras saturés et d’huile de silicone, le corail pousse jaune : ses polypes forment des arches qui se rejoignent en M. Une bouée doughnut gît dans une piscine vide, ou alors c’est un cendrier, parce que des culs de sbars bouchent les systèmes de filtration. Et plus loin, sous les résines mouvantes, on trouve des guirlandes de Noël, des barbecues à gaz, des faux-ongles rongés, des sièges-bébé, des Caddie de supermarchés, des trottinettes et des accessoires pour chiens.

Le transparent est un aquarium qui est une boule de crystal et qui nous dit : le turfu c’est la ruine. Heureusement que le plastique nous survivra pendant des siècles. Bien après la dernière trace de vie sur terre, il sera encore là pour témoigner de notre histoire. Parfois, j’imagine Caroline Ventura cherchant à sortir de son œuvre. Mais les montagnes russes sont circulaires : on monte pour ne plus en descendre. Anthropologue des confins de l’hyper-modernité, les yeux comme des lampes torches, elle fabrique les fossiles de nos caprices adulescents.

J’avais douze ans quand je suis restée bloquée pendant six jours au même niveau de la Légende de Zelda. Quand je regarde les pièces de Caroline, me revient cette musique-là : l’écho d’un rêve familier qui nous capture et nous captive et qui finit par nous caractériser.

confins : parties d’un territoire situées à son extrême limite et à la frontière d’un autre.

Salomé Kiner